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“Si tu t’en vas” : un huis clos haletant entre chien et loup

Helène Kuttner 5 novembre 2024
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© Victor Tonelli

Dans la petite salle de la Scala, Kelly Rivière et son metteur en scène Philippe Baronnet, accompagnés du jeune acteur Pierre Bidard, nous plongent au cœur d’un huis-clos haletant : celui qui réunit, dans une salle de classe, une enseignante et son élève alors que ce dernier a décidé de quitter le système scolaire pour s’installer à Dubaï. Pour qui est destinée notre école ? De quelle manière ceux qui la fréquentent, élèves et enseignants, s’en tirent plus ou moins bien ? A quoi sert d’apprendre quand le fric facile se gagne en vendant des sneakers ? Un spectacle épatant et percutant.

Ras le bol de l’école !

Des élèves qui craquent, submergés par la pression scolaire, ou qui abandonnent la partie par impuissance devant l’échec, il y en a beaucoup. Des élèves qui réussissent et prennent du plaisir aux apprentissages, il y en aussi, mais sans doute moins. La talentueuse comédienne et autrice Kelly Rivière, qui fait un carton avec son seul en scène An Irish Story repris dans ce même théâtre, imagine la rencontre fortuite, à la fin d’une longue journée de cours, entre une prof et un élève démissionnaire. Elle termine de corriger son paquet de copies, dans une robe printanière qui évoque les épreuves de bac français blancs du moi de mai. L’énergie de la jeune femme est vaillante, mais la fatigue gagne. Débarque un élève, Nathan, qui justement vient de lui déposer dans son casier une lettre. L’a-t-elle lue ? Elle ne semble pas s’en soucier. En tous les cas, le jeune homme est venu lui dire qu’il s’en allait, quittait le système scolaire et une école qui ne sert à rien, pour se lancer dans la vente en ligne de sneakers et gagner beaucoup plus d’argent que n’en gagnent les enseignants.

Elon Musk contre Tacite

© Victor Tonelli

Le gamin, qui souhaitait saluer une dernière fois son enseignante, se lance avec passion dans une critique acerbe du système scolaire, de la pression et de l’inutilité des apprentissages vécus à trente cinq dans une salle de classe. Quand le monde est à feu et à sang, que le réchauffement climatique menace une planète prête à exploser, il faut casser la baraque. Inspiré par Elon Musk et ses voyages interplanétaires, Nathan rêve des buildings à Dubaï, déteste la contrainte scolaire, et veut profiter de l’argent qu’il va gagner, comme beaucoup d’ados, grâce à l’achat de chaussures à la mode revendues plus chères. Intelligent et cynique, il démonte toute la société et ses inégalités, un ascenseur social en panne sèche, alors qu’il ne parle plus à son père, agriculteur, qui lui demande de reprendre sa ferme. Mme Ogier, dans sa robe adolescente, oppose à son désir d’argent la valeur d’une culture et d’une ouverture au monde. « Passe ton bac d’abord » lui lance-t elle vindicative, lui vantant le temps béni de la jeunesse rêvant sa vie sur les bancs du lycée. Le face à face vire au duel, et dans la petite salle de la Scala, nous spectateurs devenons les témoins d’une joute oratoire et physique violente et tendre à la fois entre un humanisme confiant et un capitalisme débridé.

Plaisir d’acteurs

© Victor Tonelli

Car le spectacle, fort bien écrit, souvent drôle, frotté à l’expérience de vrais élèves et d’enseignants de lycée que l’on voit interviewés dans un petit film au début, nous parle de nous tous, dans notre rapport à l’école et à la vie, à l’autorité et au savoir. Il parle du malaise des enseignants et de leur passion tenace, et parfois cabossée. Il parle du mal être et des interrogations des adolescents biberonnés aux salles de classes, qui s’ennuient souvent, qui travaillent beaucoup, dans notre société gagnée par la compétition et l’argent devenu un objectif de vie. Dirigés par Philippe Baronnet, Kelly Rivière et Pierre Bidard sont formidables d’humanité, pétris de désirs blessés, inassouvis. Ce duel en forme de combat s’apaise enfin, pour laisser KO les belligérants meurtris et vulnérables, face à leurs aveux respectifs, enfin à égalité. 

Hélène Kuttner

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